dimanche 29 mars 2009

1 commentaire:

  1. La maison se recroqueville, surprise de tant de silence. Dehors les feuilles s’agitent dans le bassin. À l’ombre des bambous où chantent les Dieux, une rivière de parfums et des rizières sous l’intense chaleur. J’ai emporté avec moi la nostalgie du passé qui vit en chaque Vietnamien.
    Nuage en coupes de brume sur un pavillon rouge. Le tilleul embaume dans le jardin. Il fait sec mais Il va bientôt pleuvoir. La nuit tombe sur les pétales repliés. D’autres fleurs, là-bas, qui distillent leurs senteurs matinales. Le temps n’est plus le même. Il me semble que la nuit tarde à venir …

    Au pays du dragon couché, le long des berges de la mer de Chine, je marche dans les ruelles odorantes. Non loin de la rivière, une ancienne demeure qui surgit du temps colonial. La trace d’un antique et puissant empire reste vivace ici malgré les mémoires meurtries par les guerres et les luttes.
    Les pagodes, les temples, les autels se recueillent dans les effluves vaporeux des bâtons d’encens alors que les frangipaniers exhalent leurs délicieuses senteurs. Les pavillons de l’Empereur n’existent plus mais il y a encore quelques ancêtres qui en gardent le souvenir. Dans les mausolées, les pensées des touristes s’emmêlent aux cerfs-volants de la mémoire du peuple d’Hué. Des statues de soldats gardent l’entrée du sanctuaire.
    C’est une terre imprégnée de légendes, de chants, à la source même de secrets chemins. C’est une terre de grande splendeur, aux paysages magnifiques. Les chapeaux de bambou et de latanier ressemblent à des mandalas pointés vers le ciel, petites maisons protectrices en forme de coquillage brut. Ces formes pyramidales évoquent l’Egypte antique, étrange similitude entre ces deux pays arrosés par un fleuve qui apporte sa fertilité.
    Le Nil et le Mékong traversent leur pays en déversant la fraîcheur, l’abondance des récoltes, la magie de la vie. Parfois, le fleuve sort de son lit, inonde tout, cause de ravages et désolations. Le dragon s’éveille, engendre le fertile limon.
    Des instants de rituel et de poésie : les oiseaux dans leurs cages suspendues, le temps des prières, les jeunes Vietnamiennes à vélo dans les rues, Des parents viennent vers moi pour que j’embrasse leur bébé, comme si le baiser d’un étranger était protecteur pour l’enfant.
    Une lueur bleue s’envole des sanctuaires, clarté des âmes sereines. La nature est harmonieuse, fidèle à la grâce des tuniques colorées portées par les femmes, et qui ondoient sur le chemin poudré. Une forte fragrance de thé et de riz chaud se mélange aux odeurs des fruits et des légumes.
    Tout cet univers m’environne, m’enveloppe et je ne ressens plus que le parfum et la chaleur.
    Le dragon fertile étend son échine. La lune fait grandir les enfants et pousser le riz. Ici, c’est une autre lune, plus proche de la terre. Le soir tombe si vite. Une clarté crépusculaire. Bleue. Le pont s’illumine, douces variations lumineuses. La terre moins alourdie par la chaleur intense devient plus sereine.

    Le jour, beaucoup de mouvements. Les animaux se lovent dans la tranquille végétation Asiatique qui ressemble à celle des premiers matins du monde. Et le bruit, les motos, les cris des vendeurs, un téléphone portable, un pousse-pousse qui parle à un client. Une femme porte son offrande dans un panier : des fruits, des fleurs, des bâtons d’encens. Des cafés un peu partout. Des touristes, beaucoup d’affluence.
    Les parfums s’intensifient dans la chaleur : arômes d’orchidées, de frangipaniers, de poivre, de tabac, d’épices colorées, de poissons, de vanille, de cannelle.
    Sur le marché, des odeurs poignantes de viandes et de fruits qui se décomposent. Les poissons séchés sont emballés dans des sacs en plastique et pendent au bout de ficelles.
    Les couleurs des fruits : mangues, bananes, ananas s’estompent dans le soir tombant.
    La terre et le ciel s’unissent. Juste un peu de vent. Pas de poussière. Des pétales de fleurs qui volent, corps qui s’alanguissent, les cœurs sont submergés. La rivière ruisselle comme de la soie tissée. La Dame Céleste : Thiên Mu étend son long manteau sur la ville qui devient comme un sanctuaire... On raconte qu’un jour, cette jeune femme est apparue au bord de l’eau et qu’à cet endroit, une pagode a été bâtie en mémoire.
    Au loin, la montagne, les forêts de pins, la jungle.
    Les sampans attendent le long de la rive. Du monde partout, des enfants, des vieillards, des acheteurs, des vendeurs, et un brouhaha presque silencieux qui se mêle au clapotis de l’onde.
    La vie est dure pour les petits paysans, pour les ouvriers, les marchands à palanches mais j’ai trouvé en eux malgré la pauvreté et la rudesse des conditions de vie une joie de vivre et une grande confiance qui illuminent le quotidien.
    Des jeunes femmes en ao dai marchent à petits pas très rapides sur les pavés des ruelles, entre les maisons de pierre, de bambous, les riches demeures coloniales devenues hôtels, et les cabanes des jardiniers, des pêcheurs.
    Parfois, on pourrait croire entendre la magie des tambours ciselés de bronze qui appelaient la pluie, il y a longtemps.
    Les jardins baignés de lac, d’eau pure, aux herbes luxuriantes, aux fruits délicieux, aux essences rares, aux massifs ombragés, d’arborescentes géométries. Un univers intemporel, infini, lieu de repos odorant. Tout converge vers le centre de soi même, le centre d’un monde, vers le centre du jardin.
    Le temps s’arrête devant les tombeaux et les palais. Autant de somptueuses demeures, où l’éternité s’entrevoit. La tombe est lieu de vie, de mémoire. C’est ici l’espace gardien de l’histoire du peuple, de ses cultes, de ses traditions.
    Le temps s’inverse. Dès ici-bas, l’homme est en contact avec le monde céleste.

    L’air est tiède comme les ailes des papillons. Une effervescence cadencée agite les hommes. Les roses séchées se dressent dans le vase de porcelaine. J’ai dormi si loin, dans une chambre inconnue. La pluie tombe lentement, claque sur le toit. L’orage ici n’est pas le même qu’à Hué.
    Je ne sais où s’agite la queue du dragon à l’échine rouge. C’est là-bas, si loin, dans un pays au long fleuve. La licorne danse sur les rayons de la lune. Les lotus déploient leurs pétales géants sur la rivière où passent les sampans.
    Dans une coupe, le thé de jasmin. Sur la table basse, des bananes et le fruit du dragon aux graines noires, à la pulpe fraîche que j’ai ramené dans ma valise.

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