Comment se fait-il qu’en photographie, on en dit plus quand on est discret, plutôt qu’en assénant des choses spectaculaires ?
Une vierge dans un grenier, un réveil, des ados, un croisement de route, des bribes d’objets sur la plage, une ambiance moderne mais nostalgique, le présent déjà passé, des photos, " juste des photos “, envie de dire ......
Mais Rémi Guerrin sait VOIR. Pas si facile que ça, d’avoir ce que j'appelle " le ton juste ".
Une simple rigueur, un mystère, dans l’évidence, une force visuelle : là est le langage de la photographie : la force du non tape - à - l’oeil. Le contraire de l’esbroufe. Une sorte de non - composition bien composée en fait !
Je ne connais pas Bourbourg, je sais donc en voyant ces photographies que la mer n'est pas loin, que les rues sont ce mélange de moderne et d'ancien enchevêtrés, qu’on y détruit des maisons pourtant d'un passé proche, que la mémoire change, qu'une centrale nucléaire est par là bien protégée, qu’on y vit, qu’on y est jeune, que c'est en plein pied avec aujourd'hui, là dans le nord près de Dunkerque.
Photographe du discret, Guerrin est d'une grande, d’une très grande finesse. Il me fait penser à 2 autres photographes que j'admire énormément, Eric Dessert, et Jean Claude Mouton, eux aussi des auteurs de photographies subtiles et délicates qui, malgré leur apparente douceur, parlent avec force.
Car c'est là l’énigme de la photographie : pour parler fortement, elle en dit toujours plus en ayant un peu l'air de rien ! Guerrin sait éviter tous les pièges du spectacle, il est un témoin d'une fine lucidité de son temps.
Et la photographie a ainsi un rôle social essentiel, en parlant d'une manière " understated” , dirais - je en anglais, mot intraduisible en français mais qui parle de la notion de ne pas trop dire tout en le disant extrêmement bien.
Une telle série de photographies autour d'un lieu apparemment normal en raconte beaucoup sur notre époque. Mais c'est parce que Guerrin sait voir.
Une auto passe, une boutique est là, des fenêtres encadrent un univers, il ne s'agit pas de " beauté " mais de vérité.
La vérité photographique ainsi traitée est la vérité telle quelle : voici Bourbourg, vue avec une sorte de poésie moderne qui est remarquablement le meilleur document possible sur un lieu et son ambiance.
Rémi Guerrin est, si je peux me permettre, un des plus grands passeurs visuels de cette génération, qui parle avec un ton dans les gris de ce que peut apporter la photographie : un document dont la force sublime le réel.
Bernard Plossu